Friday, December 30, 2011

L’état mauricien fait raser la maison du Prince des Poètes


La Nef est une maison de corail.

C’est là que le poète mauricien Robert-Edward Hart de Keating passa les onze dernières années de sa vie.

Située à Gris-Gris, au battant de la lame, cette maison est unique en son genre à Maurice. Construite par les amis du poète, elle contient des portes et fenêtres provenant de vieilles maisons coloniales des hauts de l’île. Toute simple, la Nef dégage un mystère calme et serein.

Trois couleurs dominent ce coin isolé de l’île : le bleu intense de la mer du sud, le vert profond des badamiers de la plage, la blancheur éclatante du corail qui est partout:  sur la plage en demi-lune, sur les murs de la maison, dans les récifs où s’écrase la houle.

Et puis, à l’intérieur de la Nef,  c’est le royaume du clair-obscur : le châlis rustique (sol en ciment teinté), les meubles en bois sombre, les reliures en cuir des nombreux livres anciens qui peuplent la Nef.


La Nef en 1975, vue de l'allée

Mais c’est vrai, il faut mettre tout cela au passé : en 2001, l’état mauricien fait démolir la Nef, pourtant classée monument historique, dont il est propriétaire. Aujourd’hui, un pastiche en béton a pris sa place.

Dans sa simplicité grandiose, la Nef représentait la quintessence de la civilisation sur une île perdue : une civilisation humaine, tranquille et cultivée, subordonnée à la nature sublime qu’elle remercie humblement de bien vouloir l’accueillir au sein de son paradis.

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Ci-après: un magnifique poème de Robert-Edward Hart consacré à son pays: 


Terre des morts et des vivants

Rien n'est doux à mon cœur autant que cette terre
Où j'ai vécu
Rien n'est plus haut que ce ciel
Rien n'est plus sûr que la mer Indienne où mes pères ont arrêté
L'élan de leur nef
Tout est bien puisque, triste Jason en deuil des toisons d'or
J'ai retrouvé du moins le cœur de la patrie où reposer
Mon cœur dont la fièvre s'endort au rythme familier
Des choses tant chéries
Ici je puis encore évoquer mon enfance
Parmi le paysage où sommeillent mes morts
Et perché sur le sol, écouter clairs et forts,
Les conseils maternels de mon Ile de France
Ici je suis moi-même et tel que je me veux :
Farouche et tendre, libre et doux, triste et joyeux
Terroir qui m'a nourri, je te donne un poète
Et si je te dois mieux pour te payer ma dette
Voici tout mon amour, mon bel amour d'hier :
Un peu de cendre, hélas, dans le creux de ma main
Je mêle cette cendre à ton sol riche et fier :
Puisse-t-elle fleurir une rose demain
Et s'il te faut, pour bien épanouir son charme,
Une claire rosée,
Patrie, voici mes larmes


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Extrait d'un article de l'hebdomadaire mauricien "Week End" du 11 Novembre 2001:

"La Nef a été rasée. C'est un terrible sentiment d'impuissance, sentiment d'arriver trop tard, qui envahit celui qui, du bout de l'allée qui menait autrefois à la Maison de Corail, ne découvre plus qu'un tas de gravats et un bulldozer qui remue implacable son bras de fer sur fond de mer.

Combien de temps encore de telles décisions concernant notre patrimoine commun pourront-elles continuer à être prises en tout petit comité ? Combien de temps encore devrons-nous assister impuissants à l'effritement graduel mais implacable de tout ce qui contribue, réellement, au cachet et à l'âme de ce pays?"

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Hart, portrait à l'huile

Georges Duhamel, de l'Académie Française, salue la mémoire de Robert-Edward Hart:

"C'est avec douleur que j'ai appris la mort de Robert-Edward Hart, grand poète et homme charmant. J'ai fait un séjour à l'île Maurice en 1948. Je suis allé passer une soirée chez lui, dans cette retraite marine à la fois délicieuse et austère où il vivait.Il a été un mainteneur de la langue française et de la pensée française dans I'île de la Fidélité. Je pensais souvent à lui avec affection, j'y penserai maintenant avec affection et regret."

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Robert Edward-Hart
Né le 17 août 1891 à Port-Louis, Robert-Edward Hart ressent dès son très jeune âge une passion pour l'écriture. À 12 ans, il sort son premier recueil de poésie. Il travaillera ensuite pour le quotidien Le Cernéen avant de quitter Maurice pour la France. De retour au pays en 1922, Robert Edward-Hart ouvre son propre journal, Le quotidien de l'après-midi. Il sera aussi bibliothécaire à l'Institut de Maurice. Sa passion pour les belles lettres et la philosophie fera de lui un poète de renom. À sa retraite, il se retire à Souillac dans sa maison de corail, où il demeurera jusqu'à sa mort le 6 novembre 1954. Il est enterré au cimetière marin de Souillac, son cœur est conservé à la municipalité de Port-Louis.

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