Avec la fin du règne du sucre sur Maurice, les “établissements sucriers” changent d’aspect à vue d’œil : construction d’énormes centres commerciaux, création de lotissements résidentiels à la place des champs et de cyber-cités aux buildings toujours plus hauts… Le vert recule. Le paysage de Maurice change, et change vite.
Une "cour" typique de la région de Moka dans les années 1950
Un aspect moins visible mais tout aussi profond de ces transformations est la disparition rapide des vieux quartiers résidentiels des cadres des sucreries. En effet, les employés responsables des champs et des usines à sucre habitent traditionnellement sur la « propriété sucrière », dans des maisons (les « maisons de propriété ») qui leur sont allouées jusqu’à leur retraite.
Ces maisons se trouvent au milieu de jardins toujours vastes et bien entretenus (les « cours »), ceints de haies de buis ou de bambous, le long de chemins ombragés de vieux arbres. De loin, toutes ces « cours de propriété » juxtaposées ressemblent à un vaste jardin botanique. Au centre de la vie des cadres de la sucrerie, le club (prononcer « club », non « cleub »), bâtiment entouré de grandes pelouses et d’arbres fruitiers, accueille les jeux de cartes, les fêtes d’anniversaire et les compétitions sportives.
Ces dernières années, les employés des propriétés sucrières sont de plus en plus souvent priés d’évacuer les lieux. Les cours vieilles de plus de cent ans sont bulldozées, les maisons rasées, les arbres coupés pour faire place à un « développement », à un parking ou même… à un champ de canne.
Concordia en 2009
Prenons l’exemple de la propriété sucrière de « Mon Désert-Alma », à Moka. Le quartier résidentiel de se trouve à « Concordia », St Pierre. Concordia est le nom d’une ancienne maison coloniale depuis longtemps disparue. Son immense parc fut divisé il y a bien longtemps en plusieurs lots de près d’un hectare chacun, et des maisons y furent construites en vue de recevoir les employés de la propriété. Tous ces vieux jardins, comprenaient tous des arbres centenaires, des bassins aux poissons, des kiosques traditionnels, d’énormes bancs de pierre, et les restes des vastes pelouses du vieux Concordia.
Depuis l’année dernière, Concordia est inexorablement bulldozé. Les jardins ont déjà presque tous disparu, il ne reste que deux maisons de propriété encore intactes. Le tout va devenir le parking d’un supermarché « Winner’s ». La grande cour du « field manager », située plus loin sur la route Royale de Moka, a elle aussi déjà été rasée ; c’est aujourd’hui un centre commercial.
Destruction de Concordia, état en mai 2011
Nous sommes sans doute la dernière génération à connaître le vert intense et la vie tranquille des cours de propriété. Ce qui frappe, c'est d'une part la rapidité, d'autre part l'étendue de la transformation du paysage mauricien. Ces changements concernant toute l'ile, la physionomie de Maurice est en train d'être radicalement bouleversée.
Route Royale Moka, comparaison 2004 / 2011:
Deux "cours" de cadres de la sucrerie rayées de la carte, quelques champs au passage:
le lieu est meconnaissable .
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De l'utilisation du mot "cour":
Au XVIIIe siècle, les colons français habitaient la ville (où les maisons avaient des cours) ou bien la campagne (où les maisons avaient des basses-cours). Ceci expliquant sans doute pourquoi, malgré l’évolution de l’habitat, l’usage du mot cour est préféré au mot jardin jusqu’à nos jours.
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