Monday, August 19, 2013

VIE ET MORT DE L’HOTEL DU GOUVERNEMENT (1736-2010)

Nombreuses photos au bas de l'article

Les deux stars du patrimoine mauricien, propriété de l'état et classées monument historique, ont tiré leur révérence à quelques années d'intervalle:

En 2002, le Château du Réduit a été profondément remodelé lors de grands travaux totalisant des centaines de millions de roupies. Le bâtiment et son décor intérieur furent modifiés de fond en comble. Les matériaux, couleurs et éléments architecturaux n’ont que peu à voir avec ceux d’origine, aboutissement d’un processus entamé dans les années 1990 lorsque le Château du Réduit fut mystérieusement rebaptisée "State House" du jour au lendemain. Voir: Le château du Réduit, un cher massacre.

En 2010, c'est au tour de l'Hôtel du Gouvernement de Port Louis d'être détruit puis remplacé par un pastiche, bâtiment moderne terminé en avril 2012 qui rappelle, grosso modo, l'édifice d’origine. Le chantier (360 millions de roupies) est octroyé à une entreprise mauricienne spécialisée dans la construction en béton, dirigée par le fils du Vice-Premier-Ministre et ministre des infrastructures publiques en exercice.



----------------------------


2013: approchons nous un peu plus près:

  • Le bâtiment d'origine n'existe plus, détruit jusqu'au rez de chaussée. Dans le nouveau bâtiment, les façades en bois sont refaites en béton armé.

  • Toutes les huisseries (portes, fenêtres, volets, gonds, poignées) ont été remplacées par des produits de la grande distribution. Plus aucun élément ancien ne subsiste. Mais où sont donc passées les dizaines et dizaines de portes anciennes du palais?

  • Les nouvelles portes-fenêtres sont d'un modèle unique, inventé de toutes pièces, alors que l’Hotel du Gouvernement comportait plusieurs types de portes (certaines à demi-cintre, d'autres à persiennes, de tailles et de forme différentes) ce qui ajoutait de l'intérêt au bâtiment et attestait des différentes époques de construction et fonctions des ouvertures (portes d’apparat, aération du bâtiment, protection contre les éléments etc). 

  • La subtile gamme de couleur d'origine a disparu. Dans la construction neuve, les murs, les portes, les volets, tout est blanc. Adieu blanc cassé, bleu wedgewood du deuxième étage, gris pale des volets, noir du toit, rouge de l’escalier d’honneur et des terrasses.

  • Les persiennes qui encadraient depuis le XIXe siècle les colonnes des galeries supérieures de l'aile Nord ont été purement supprimées. Pourtant, elles ne demandaient aucune rénovation, à part un coup de peinture.

  • La cire rouge, appliquée depuis au moins la seconde moitié du XIXe siècle sur le plancher des galeries supérieures, a disparu également.
  • Les balustrades d’origine ont toutes été remplacées par de grossières balustrades neuves. Non seulement elles ne reprennent pas le modèle d’origine mais, mal peintes et de piètre qualité, elles sont déjà en train de rouiller.

  • L'Hôtel du gouvernement possède un mobilier de grande valeur à l'échelle de Maurice: certains meubles mais aussi tous les cadres des nombreux portraits grandeur nature des souverains britanniques (George III, Queen Mary, Reine Victoria etc.) ont été redorés à l'excès. L’ameublement dit de la Compagnie des Indes est poussé en ligne contre un mur, pathétique disposition. De même, dans la salle du trône, des dizaines de fauteuils modernes particulièrement laids sont poussés contre les murs de la pièce. Pour compléter ce décor pour le moins discutable, d'onéreux rideaux sans justification historique ni esthétique ont été installés de part et d'autre des 18 doubles-portes de la pièce. On se croirait dans un bordel de la Belle Epoque. 

  • Dans les plafonds à caisson, on a pas hésité (comme au Château du Réduit) à encastrer quantité de spots modernes. Combinés aux affreux fauteuils rembourrés qui font le tour de la salle, ils donnent l'impression de se trouver dans un cinéma rétro.

  • Les bardeaux du toit, traditionnellement recouverts d’une couche de bitume qui en assure l'étanchéité (et qui lui donne leur couleur noire emblématique de l'architecture mauricienne), sont maintenant en bois brut, rougeâtre. Les chiens assis sont également en bois brut, alors qu’ils étaient soulignés de blanc, là encore comme dans toutes les maisons coloniales mauriciennes. Aujourd'hui, on dirait le toit d'un un chalet suisse ou d'une cabane dans le grand nord canadien, pas celui d'un palais mauricien. De même, les colonnes en pierre chaulée du rez-de-chaussée ont été (comme au Château du Réduit) mises à nu. Le caractère colonial du bâtiment disparait avec ses couleurs d'origine.

  • L’escalier d’honneur, gravit durant des centaines d'années par des dizaines de chefs d'état, de rois et de reines, et les grands hommes de l’ile, a été détruit et remplacé par une structure en dur recouverte de pierre.

  • La cour intérieure entre les galeries a été recouverte de paves de ciment. Où est passée la rivière de pavés en pierre qui se trouvait là auparavant? Mystère... 

  • Que dire de la qualité médiocre des finitions, des matériaux utilisés (“stainless steel”, “Made in China”), des éléments neufs qui rouillent déjà, de la peinture bâclée, de la disparition pure et simple de nombreux éléments historiques en bois, pierre et fer forgé.

-----------------------------




On en finirait plus de commenter la mort de l'Hôtel du Gouvernement qui fut, pendant près de trois siècles, le plus prestigieux édifice colonial des iles de l'Océan Indien. 

Aucune voix ne s’est élevée pour empêcher ce massacre. Aucune voix ne s’est exprimée depuis qu’il a été perpétré pour le dénoncer.

Maurice continue chaque jour de perdre un peu plus son âme, de s'enlaidir, de se banaliser, de se dégrader, dans l'indifférence:
  • des Mauriciens (qui ne s'intéressent à leur pays que pour le profit qu’ils peuvent en tirer), 
  • des touristes (qui ne connaissent de l’ile que la piscine de leur hôtel climatisé),
  • de l'état (metteur en scène et acteur principal de ce drame qu’est l’assassinat de Maurice)

Adieu mon pays.

GALERIE PHOTO & VIDEO
---------------------------


1/ Photos au début et au milieu du XXe siècle






2/ Avant la "rénovation" - Abandonné, le bâtiment historique le plus important de l’ile est devenu une décharge.









Ci-dessus: Salles de réception du 2e etage


Vidéo ci-dessus: L'Hôtel du Gouvernement, 
monument historique devenu la poubelle de l'état mauricien


3/ Avant la "rénovation" - Elements architecturaux, couleurs, matériaux.



















4/ Après la reconstruction - Un pastiche moderne remplace le bâtiment historique 





























5/ Les abords de l'Hôtel du Gouvernement: une décharge à ciel ouvert.






Ci-dessus: La place d’Armes, dessinée au XVIIIe siècle, 
centre névralgique de Port Louis: un lieu sale et pollué






Photos ci-dessus: dans la cour de l'Hôtel du Gouvernement



Ci-dessus: la Rue Royale mène à l'hôtel du Gouvernement depuis 250 ans. Sur la centaine de bâtiments coloniaux qui la bordaient, une demi-douzaine seulement restent livrés à leur sort parmi les atrocités en béton de quinze étages. Voir cet article à ce sujet:  Port-Louis, ville assassinée


----------------------------------


L’HOTEL DU GOUVERNEMENT EN QUELQUES DATES:
------------------------------------------------------------------------------

  • 1715: prise de possession par la France de l'ile Mauritius, abandonnée par les Néerlandais 5 ans auparavant. Elle est rebaptisée Isle de France

  • 1725: construction du bâtiment primitif en bois sous palmes

  • 1727: Le bâtiment est endommagé par un cyclone

  • 1736: construction par Maupin du rez-de-chaussée en pierre; le bâtiment s’appelle alors "La Loge"

  • 1738: construction par Labourdonnais du premier étage en pierre

  • 1810: achèvement du deuxième étage en bois par Decaen, décembre: prise de possession de l'ile, baptisée à nouveau Mauritius, par la Grande-Bretagne. 

  • 1867: Erection de la statue en bronze du Gouverneur Stevenson par Prosper d'Epinay dans la cour d'honneur

  • 1875: L'Assemblée Législative siège a l'Hôtel du Gouvernement

  • 1902: Erection de la statue en marbre de Victoria, Queen of Mauritius, a la place de l'ancienne grille en fonte

  • 1968: mars: Indépendance de l'ile, septembre: le bâtiment est classé monument historique

  • 2010: destruction du bâtiment historique jusqu'au rez-de-chaussée par l'état mauricien; ne subsistent qu’une partie des façades extérieures des deux premiers niveaux et les colonnes en pierre et fonte

  • 2010-2012: Construction d'un bâtiment moderne a la place du monument historique. 


6 comments:

  1. Je vous félicite pour ce beau travail que vous faites. C'est vraiment chagrinant de voir que notre pays est en train de mourir petit à petit entre les mains des politiciens.

    Juste une suggestion, pouvez-vous compresser les photos avant de les mettre en ligne car avec la connection d'internet dans l'ile, cela prend du temps à faire apparaitre toutes les photos car c'est trop lourdes.

    Merci.

    ReplyDelete
  2. Je ne peux que vous féliciter pour l'article: c'est bien fait et j’espère que tout le monde pourra voir comment notre histoire est préservée, c'est à dire piètrement!

    ReplyDelete
  3. J'aimerais rentrer en contact avec vous. C'est important

    ReplyDelete
    Replies
    1. Message possible sur la page facebook de Maurice Derriere La Carte Postale
      https://www.facebook.com/pages/Maurice-derrière-la-carte-postale/460196784050853

      Delete
  4. Il faudrait aussi voir les peintures la nuit et sous lumière infra-rouge... On pourrait alors se rendre compte des restaurations intempestives et nullement lacunaires qui ont été pratiquées sans complexes et sans aucun contrôle. Un pur et simple barbouillage à un prix faramineux et accompli par des incompétents!!! Juste pour de l'argent mal gagné, vite fait mal fait!

    ReplyDelete
  5. Quel Massacre , comment peut on détruire une partie de l'histoire Mauricienne. Les personnes qui prennent ce genre de décision ne doivent pas se sentir concernées par le passé.
    Les vestiges d’antan sont pourtant si beaux,c'est ce qui a mon sens fait en partie la richesse de l'ile

    Corine

    ReplyDelete